A hauteur d’homme…
Malgré la neige qui tombait, nous étions très nombreux (300 personnes au moins ?..) à assister à cette représentation de « Mission » ce samedi 19 janvier…
Magnifiquement interprété par Bruno Vanden Broecke, ce texte de David Van Reybrouck écrit en 2007, est inspiré d’entretiens avec de vieux missionnaires du Congo de l’Est qui ont manifestement assistés à la sombre histoire récente de la région.
Sur le ton d’une confidence intime, émouvante et drôle, ce monologue est – au-delà de celui d’un prêtre missionnaire de son temps – celui d’un homme qui fait le point sur sa vie, son engagement, ses découragements.
Et en cela, il nous interpelle sur nos propres engagements individuels, sur notre conscience du monde. (un texte à (re)lire notamment si l’on a raté la pièce…)
De manière symétrique, l’exposé-débat sur les viols de masse en situation de guerre animé par Louis Guinamard à la suite du spectacle, nous interroge sur l’aspect collectif de ces agissements.
La guerre est un cadre d’ivresse de puissance et d’impunité.
Entre viol opportuniste, rituel initiatique ou prise de « butin » octroyé aux vainqueurs du moment… le viol a toujours été et restera probablement toujours un fait tristement « classique » dans les contextes de conflits armés.
Mais certains conflits contemporains se distinguent doublement de ce cadre ; par l’ampleur et par l’intention en établissant le viol à une échelle massive ET surtout en l’établissant en tant que système.
Le viol en tant que système est un acte de guerre plus qu’il n’est un acte sexuel.
Il est la volonté de destruction systématique de l’ordonnancement social existant.
– Il dit aux hommes leur incapacité à protéger leur famille et leur communauté,
– Il dit aux femmes leur incapacité à être maîtresse de leur corps et les condamne par qui elles vont engendrer,
– Il dit à la communauté sa destructuration future et sur un long terme par la marque génétique du « serpent » (le « fils de l’ennemi »… Cliquez sur ce lien pour en savoir plus)
– Il dit la volonté farouche d’humilier, d’anéantir le moral et la société et ce pour longtemps…
Au-delà du pouvoir de domination tristement habituel du viol « ordinaire », il est une atteinte volontaire à la filiation, à la reproduction tant biologique que patrimoniale quand il n’est pas une mort lente inoculée par le sida ou autre MST…
C’est pourquoi ce type de viol massif touche tous les âges : de 3 à 80 ans !
C’est une méthode « moins chère et plus efficace que les balles » pour reprendre les propos d’un médecin de MSF.
Et même si ce sont massivement les femmes (mais pas exclusivement) qui en sont les victimes, l’objet essentiel est la destruction (déstructuration) de la société ou de la communauté dans le but ultime d’un pillage économique.
Le lien est quasiment systématique entre ce système et la présence de ressources énergétiques ou minières abondantes.
Loin d’être culturel, ce phénomène est essentiellement contextuel. Il est nécessairement lié à un contexte précis historique, géopolitique et aussi et peut-être même surtout sociétal.
La place du viol dans le répertoire des violences dépend aussi du moment du conflit (début, en cours, fin) car – en tant que système précisément – il faut le temps à des personnes – qui au départ ne sont pas particulièrement perverses – d’intégrer la perception – voulue par leur hiérarchie et conforté par le système mis en place – que l’Autre n’est plus un être humain.
Comment ce système peut-il perdurer ?
Sans doute faut-il considérer que – par essence, du fait des conditions extrêmes de la guerre – la « fraternité d’arme » des soldats est – pour être vitale pour chacun – indéfectible et plus effective que celles des civils…
Ce faisant, chaque soldat fait comme son camarade et ne dénonce en rien ni son « frère » ni le système qui l’a légitimé. Car quand l’Autre n’est pas humain, est humain celui qui est avec soi, car il devient une partie de soi.
Sans doute faut-il également considérer le silence (non pas celui des armes…) mais celui des populations elles-mêmes. Celui des victimes qui – de peur d’être marginalisées par la communauté – se taisent !
En un renversement du sens (ce qui est finalement récurrent dans bien des contextes…) ce qui est inacceptable devient la norme, et celui qui voudrait dénoncer les faits devient inaudible car devenant « anormal », il devient lui-même fou ou folle ou du moins rejeté par la communauté.
Ainsi les victimes la plupart du temps se taisent comme nous l’a rappelé Louis Guinamard.
Par le déni, par le silence, la banalisation et l’impunité se font normalité.
Là encore, comme souvent, cette volonté de ne pas percevoir est due massivement au « cercle des gentils », à la « majorité silencieuse » qui, en se taisant, participe au déni.
Que faire ?
Amnesty International refuse ce silence, dit clairement ce qui n’est pas banal, choisit de reconnaître ce qui se vit et ceux qui vivent ces situations, dénonce l’impunité, réclame un droit international puissant et sa mise en application, relaye les initiatives heureuses comme celle de l’association BVES (Bureau pour le Volontariat au service de l’Enfance et de la Santé (voir notre précédent article)
Pour aller plus loin :
– Vous trouverez ici, un interview de l’auteur
– Sur ce lien, celui de l’acteur
– Là, vous trouverez, un interview de Louis Guinamard
– Ici, vous accèderez au site de l’observatoire international des violences sexuelles dans les conflits armés.